CONFERENCES 2015 

« Comment redonner un sens à sa vie après l'épreuve de la perte d'un enfant ? » 

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CR rédigé par Lucienne secrétaire de JPV29 et Marie secrétaire adjointe


Véronique Margron une voix qui compte

Soeur dominicaine, ancienne doyenne de la faculté de théologie d'Angers, disciple de Xavier Thévenot et proche de Lytta BassetVéronique Margron est aujourd'hui professeur de théologie morale dans cette même faculté. Elle s'intéresse très particulièrement aux questions liées à la vie affective ainsi qu'aux grandes interrogations de nos sociétés : la bioéthique, la souffrance, la solitude.

 https://www.youtube.com/watch?v=1Ev7-VyLVpQ


A LA SALLE DE CONFÉRENCE DE L'AUBERGE DE JEUNESSE DE MORLAIX
le 24 octobre 2015 de 13h45 à 17h.

La cinquantaine de personnes présentes a pu apprécier l'intervention chaleureuse et émouvante de madame la maire Agnès LE BRUN qui nous a assuré de son soutien personnel à notre association et au projet d’ouverture possible d’une antenne à Morlaix.

Remerciements également à :
M. Jean-Luc FICHET président de la communauté de commune qui met gracieusement à notre disposition la salle de l’auberge de Jeunesse, Madame Maryse TOCQUER sa vice-présidente déléguée à la cohésion sociale et enfin Madame SIMON-GALLOUEDEC adjointe au maire de Morlaix en charge des affaires sociales ainsi que Chantal Mingam, conseillère municipale.

Le mot du président Herve Poëns 
« Leurs lumières, qui symbolisent simultanément cet espoir d’avancer à nouveau dans la vie et la mémoire de nos chers disparus sont indissociables, car on se reconstruit avec le souvenir de celui que l’on a perdu » 

Thérèse allume les bougies de part et d’autre de la table pour « redonner un chemin de vie à ceux qui ont perdu un enfant ».

Présentation d’Elisabeth SCIUS, présidente de JPV national depuis juin 2015

JPV a été créé en 1978, bientôt trente années d'existence.

"Jonathan est une grande famille, on y apporte beaucoup de larmes, (merci de ne pas vous inquiéter si je pleure) mais pas que, qui nous permet d'être nous même quel que soit le délai de l'endeuillement".

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Véronique Margron se propose de nous soutenir et de prendre notre place plutôt que nous la sienne.  

Face à l’absurdité de l’existence, on ne peut essayer de comprendre. Il faut essayer de se résoudre. Il n’est pas question de chercher à savoir de comprendre des drames tels les vôtres mais plus d’être ici les témoins  de comment revivre malgré tout, ensemble pour avancer.

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Que pouvons-nous en faire de toute cette souffrance pour pouvoir encore se projeter dans l’avenir, pour pouvoir encore vivre demain ?

Toute souffrance est un non-sens difficile à accepter. Tentation de donner un sens, aussi fou soit-il, aussi terrible soit-il plutôt qu’il n’y en ait pas.  La violence est encore plus grande si l'on se culpabilise en se demandant : Qu'ai-je mal fait ou qu'ai-je fait de mal ? Le mal est un point d’interrogation sans réponse. Toutes les réponses sont fausses. Personne n'est responsable du mal qui est arrivé et même lorsqu'il y a un coupable identifié, cela ne console pas pour autant. Il ne faut pas se retenir de dire sa souffrance et doucement consentir à ce qu'il n'y ait pas de ponse.

 La grande souffrance nous altère. Comment tenons nous debout ?

 Pour ce faire, il faut trois pieds (ou piliers)

- nos amours, nos amitiés, nos affections,

- une vie sociale, un travail, des loisirs,

- le sens que nous donnons à nos existences, Quelle est la signification que nous voulons donner à nos vies ?

Le deuil rompt les trois piliers. La vie et tout ce qui nous entoure est gravement atteint et c'est l'ensemble qu'il faudra soigner : corps, âme et lien social. Le mal nous change au point que l’on ne se reconnait plus soi-même. C’est tragiquement normalSentiment de solitude que l’éloignement des amis et de l’entourage, mal à l’aise devant le malheur ne fait que renforcer

"Ne pas chercher du sens à l'événement mais trouver du sens à l'après"

Comment peu à peu des liens, au travail, des affections, le trois fois rien, le minuscule va pouvoir nous raccrocher à de la relation

Il y a toujours de la solitude mais elle peut-être reliée à d’autres qui vous prennent tels que vous êtes et ne vous ramènent pas, ne vous contractent pas à votre douleur. Plus rien n'a la même odeur ni la même couleur, il y a le temps d'avant et le temps d'après et nous sommes incapables car c’est impossible de faire le lien avec la vie d’avant.  Seuls les autres peuvent être les témoins bienveillants, doux de la continuité de votre vie malgré tout, remettre un peu d’unité quand tout est brisé, des passeurs bienveillants, pour s'ouvrir à l'existence, à l'avenir même si sur le moment on n'y croit guère, rester responsables, dignes et nous amener à pouvoir aimer à nouveau malgré tout, exister à nouveau, croire à nouveau.

Le sens est du côté de la vie. 

Non pas trouver du sens à cet événement tragique. Le sens est du côté non du mal, du malheur. Toujours chaotiquement avancer, à son rythme. Le temps humain n'est pas le même. C’est peut-être refaire de la peau. Avancer ce serait redonner un autre sens, un autre goût mille fois sans doute plus grave, une autre signification, une autre orientation à l’existence.

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Redonner un poids, un goût à son existence. 

Plusieurs auxiliaires sur ce chemin-là. 

 Ne plus croire que l’on peut réussir par la seule force de sa volonté.

Ne pas fuir le malheur de l’autre ; pas facile tellement cela nous renvoie à notre impuissance. Le malheur isole. Se battre contre lui c’est se battre contre cet isolement où il veut nous emmener. Si, on doit résister car on ne se relèvera qu’ensemble entre cabossés, tout un chacun l’est, certains plus que d’autres, sans accéder à du lien, du toucher, à de la caresse, aller vers ceux qui ont traversé la même épreuve. «Eux savent rassurer, recréer des liens dans un temps de partage. Eux savent recueillir les pleurs, comprennent les silences et amènent à parler de l’enfant disparu, rétablissant un pont entre présent et passé, redonnant une continuité à la vie».  

Le goût du minuscule.

Rester du coté des vivants, il n'y a pas de plus belle manière d'aimer la vie. De sa longue expérience de soins palliatifs, elle a gardé le souvenir de lieux de vie et non de mort. Parler doucement, frapper à une porte, laisser passer l’air. ça change la vie de l'instant, pour donner du poids à l’humain, à ce qui se passe maintenant. De la vie revient quand on s'attache aux petites choses. C'est comme un long réapprentissage à la marche. Accepter ce que d'autres nous offrent de minuscule, du moment que ça fait du bien et du lien sans chercher à changer la vie ou le reste. A travers ce « malgré tout » lié  à l’irréversibilité de la perte, de la vie peut encore advenir. 

 

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Pour conclure Vivre avec les vivants, des vivants avec des mémoires

«Il faut tourner la page» Certaines formules sont insupportables. Nous ne pouvons pas réécrire le passé, nous ne pouvons pas non plus l’effacer. Il faut réapprendre à marcher, à réécrire son existence, la façon dont on l’interprète. Ce qui est possible c’est d’essayer de réécrire le sens que nous essayons de donner à la vie avec ce qui est venu la briser, à chacun de trouver sa méthode pour pouvoir refaire de la peau, retisser une unité de la vie. Se raconter aussi les pages heureuses sinon on finit par croire qu’elles n’ont jamais existé et être plus au service de la vie, faire confiance en la vie, une confiance qui vient d’amis.  Il faut que quelqu’un y croit avant nous quand il est impossible d’y croire nous même et avoir des projets, de la tendresse, la solidarité dans nos existences, demain, vers nos proches, envers nous-mêmes. 

 


Un livre sur ce sujet l’a particulièrement touchée,  "Les morts de notre vie".
de Damien Le Guay et  Jean-Philippe de Tonnac chez Albin Michel
"Les mêmes morts qui nous habitent peuvent nous pousser vers de la vie comme ils peuvent nous pousser vers de la mort. Toujours face à cette frontière délicate."
Quand il faut évoquer la mort, nous savons que… nous ne savons rien. Quand il nous faut parler des morts de notre vie – qui vivent encore en nous, habitent notre cœur –, les mots  nous manquent. De cette perte, de la mort même, nous préférons ne pas parler. Et pourtant, les absents n’en finissent pas d’être présents. Nous en sommes les gardiens fidèles. Au-delà des chagrins, des douleurs, des personalités disent tous le lien vital qui les relie à leurs morts – les morts de leur vie. L’extraordinaire diversité de ces paroles nous invite au partage pour être plus vivants.
http://www.albin-michel.fr/Les-Morts-de-notre-vie-EAN=9782226319203


Les questions

- La peine des grands-parents et la difficulté de garder un lien avec les petits-enfants restants.

Gardons-nous de rajouter de la douleur à la douleur. Qu’est-ce qui est possible, ce qui ne l’est pas ?

En quittant les liens, on va mieux s’en sortir. illusion que la société peut nous laisser paraître. On est dans un monde de technique, la mémoire n’a pas d’importance. Sauf que sans mémoire, sans affect, ça ne marche pas bien. Croire que faire table rase d’une mémoire, on pourrait refaire sa vie. Vous savez mieux que tout le monde la vacuité de ces propos.

- Le secret d'un frère ou d'une soeur décédé avant sa naissance.

La mort change la place dans la fratrie.

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La question des frères et sœurs
Les frères et sœurs sont comme des survivants (en particulier de suicide mais pas que), c'est-à-dire la fragilité du survivant ; l’expression peut paraître extrêmement dure mais ils ont été témoins de la catastrophe. Le silence est souvent le lieu par lequel on croit protéger les parents y compris pour un enfant adulte, d'où cette grande difficulté. Faire comme si la vie avait toujours été comme maintenant ; ne plus prononcer le prénom. Cela fait mal mais c'est normal.  Il est normal d'espérer que les enfants épaulent dans ces drames. Il faut souvent pouvoir faire de longs détours pour le coup.

Il est important que chacun de la fratrie ait un lieu pour parler, pas forcément pour parler ensemble, mais avec d'autres proches, un thérapeute, une association, un voisin, pour que les récits de vie vécue puisse se faire, pas

seulement du malheur, que ce soit d'autres qui prennent le relais. 

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Intervention de la présidente JPV national Elisabeth SCIUS qui nous présente le livre "Frères et sœurs, vivre après toi" de Nathalie Hamza et Angela Triponel.

"On peut toujours l'offrir aux enfants qui restent. Un jour, il se rappellera que le livre est là et aura peut-être envie de l’ouvrir et de le lire".


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- Dialogue avec l'enfant disparu y compris l'"engueuler"

Et vous avez tout à fait raison de poursuivre la conversation avec le mort face en réponse au plus jamais, il est permis de faire autre chose pour faire face. 

- Perte d'un bébé. Nouvelle grossesse.

La perte d’un bébé est un deuil à part. On ne connait pas celui que l’on pleure ; il n’avait pas de vie sociale.

Au moment où l'on commence sa vie, la vie s'arrête. Nous devons en
tendre cette phrase avec la gravité qui convient. L'humain a encore besoin de projets, de désirs. Il est important que d'autres viennent adroitement, maladroitement ajouter du minuscule. On peut reconstruire de la VIE avec du malheur en soi.

- Perte d'un jumeau

Mélange des sentiments Désir d’aimer et peur de l’oubli. Pousser la mort et laisser passer la vie, qu’elle soit moins au centre. Une victoire qui n’enlèvera rien à la détresse immense et à l’amour que l’on portait à son enfant.